Quel est notre travail et notre éthique d’enseignant ? :

• Mettre en place le cadre :

Nous enseignons une voie dans un dojo et notre pratique est un art martial. Cela doit être clairement énoncé aux pratiquants. En tant qu’enseignant, nous mettons en place le cadre et nous en sommes le garant.

La discipline permet de se contenir et de se dépasser, elle est le support de l’expérience, elle permet l’accès à soi. L’étiquette règle le rapport entre les élèves et, entre les élèves et le professeur, elle permet de donner une place juste à l’altérité qui ne soit ni dans le déni, ni dans la confusion. Le rituel donne accès à la dimension symbolique et il est un support puissant de transformation.

Donc, soyez vigilant en ce qui concerne la discipline, l’étiquette et le rituel : il ne s’agit en aucune façon d’une sorte de folklore japonisant mais bien de la trame sans laquelle nous ne sommes pas en situation d’enseigner.

Les trois ensembles définissent le cadre de la relation ce qui est absolument indispensable avant tout enseignement.

Prenez bien le temps d’expliquer aux débutants comment fonctionne un dojo, son orientation, la place du kamiza, le rituel du cours, etc. Impliquez les élèves anciens dans cette démarche.

Vous expliquerez aussi le déroulement habituel du cours : misogi, kihon, pratique puis à la fin temps de parole et de questions. Imposez donc silence pendant le cours !

• Transmettre le patrimoine de techniques :

Le cours doit permettre de faire l’acquisition des techniques et en priorité du kihon. Le kihon est le fondement auquel se réfère notre pratique, il doit être enseigné avec précision.

Au-delà du kihon, il est important de donner accès aux élèves à la richesse du patrimoine technique : kihon et ses dérivés, postures debout, misogi, marches, méditation, les techniques et leurs variantes, les techniques et leur combinaison, les enchaînements, etc.

Le programme d’un cours hebdomadaire suit le déroulement de la méthode de base mais il ne s’agit pas d’un Apat, nos possibilités et nos moyens d’action sont donc plus variés. Le cours est collectif, nous nous adressons donc à un groupe : la progression des cours suit la méthode et doit donner accès à une logique d’équilibration du corps, pour autant, le cours collectif peut progresser plus vite que l’équilibre de chaque individu qui le compose. Le cours est collectif et doit s’adresser à tous, il est à la fois général et précis. En tant qu’enseignant, nous prenons particulièrement soin de chaque élève et nous faisons en sorte que chacun puisse progresser.

• Développer la conscience :

Le cours met en place les conditions du développement d’une conscience qui n’exclut aucune profondeur de l’être. La pratique renforce le sentiment d’unité et donne accès à soi. Par exemple, l’expérience des différentes postures et de l’équilibre psychosomatique qu’elles requièrent crée les conditions du développement d’une conscience de soi qui ne soit plus univoque mais multiple, mobile et souple. Cet enrichissement de l’accès à soi libère du joug d’injonctions inconscientes, il autorise le changement.

En tant qu’enseignant, nous guidons l’élève vers cette prise de conscience en garantissant les conditions de l’expérience : une posture est précise et nous cherchons sincèrement à amener l’élève vers le cadre conscientiel inhérent à chaque posture, nous assumons l’intensité de la pratique car elle crée une vraie mise à l’épreuve et les conditions d’un dépassement de soi, nous sommes conscients du fait que la pratique peut mener l’élève vers une dimension émotionnelle forte et vers une sollicitation de l’activité psychique et nous faisons en sorte que cela se fasse sans crise et nous demeurons bienveillants.

Dans ce contexte, il sera utile d’apporter des compléments d’ordre théorique afin, non seulement de donner du sens à la pratique, mais aussi de donner accès aux mots pour nommer les maux éventuels.

Le cadre de notre travail n’est pas ésotérique, il est clair et explicite, il doit être expliqué et les questions des élèves prennent une place importante dans ce processus.

• Permettre une expérience réelle :

Le cours doit permettre une expérience énergétique réelle et créer un transfert d’énergie entre les différentes profondeurs, selon la voie somato-viscéro-psychique notamment. L’enseignant organise le cadre de cette expérience et sait par exemple si le cours tonifie ou déstructure, s’il propose une régression ou une évolution. Il sera particulièrement intéressant d’amener l’élève à comprendre à travers la pratique les rapports suivants : saturation / carence, interne / externe, circulation / stagnation, mobilité / fixité, etc.

Le cours en lui-même doit avoir une structure contenante. Le rituel garantit la sécurité psychique et émotionnelle : on sait quand un cours commence et quand il finit ! Le temps doit être un repère accessible.

Le contenu du cours est contenant : on commence par le kihon puis un temps de pratique avec un objectif ou une thématique est proposé, puis la fin du cours est marquée par un temps de travail qui permet aux élèves de retrouver leur équilibre et de mettre en place les adaptations dont ils ont besoin pour se retrouver à l’extérieur du cadre du dojo. Pour les débutants, par exemple, il est très important de finir le cours par un temps de marche stable, comme la marche du cadeau à l’empereur, qui apaise et projette déjà en dehors du cours. L’élève marche vers la sortie !

• Amener à une plus grande liberté :

La pratique donne accès au corps, aux émotions et à une pensée autonome. Elle nous conduit à prendre conscience des liens qui structurent notre corps à travers notre histoire et elle nous impose pour équilibrer nos tensions, que celles-ci soient physiques ou psychiques, de nous positionner en tant qu’individu, acteur et auteur de notre vie. Il ne peut exister d’équilibre psychosomatique sans prévalence d’une liberté individuelle qui détermine à quelle distance l’individu se positionne par rapport aux collectifs, familiaux et culturels par exemple, dont il est issu.

En tant qu’enseignant, notre premier principe est le respect de la liberté individuelle. Nous n’avons pas à dire à l’élève ce qu’il devrait être, nous veillons à ce qu’il puisse trouver dans la pratique l’énergie et l’inspiration dont il a besoin sans présumer de son devenir. Nous ne retenons pas les élèves : ils sont libres de rester dans nos cours, tant qu’ils en respectent les règles, et libres de partir à n’importe quel moment.

Concrètement, nous faisons en sorte que nos cours soient bien conçus et qu’ils conduisent par leur architecture à un « affûtage » de la proprioception et de l’intéroception. L’élève accède ainsi à une connaissance de soi intelligente et sensible qui lui donnera les moyens d’agir par lui-même sur lui-même. Il s’agit bien de développer une sorte de sensibilité à soi-même qui donne des moyens d’action autonomes.

Le cours doit donc orienter le pratiquant vers une introspection et mettre en place une sorte de vigilance qui permette de changer de point de vue en intégrant la dimension psychosomatique. En tant qu’enseignant, nous sommes particulièrement attentifs à ne pas valider de clivage corps-psychisme mais à faire en sorte de mettre en échec ce mécanisme. N’oublions pas que corps et psychisme organisent un système de contention et de ressource mutuelles.

Nous espérons que cette liberté fasse écho à un sentiment d’être profond et intime, c’est alors que notre pratique aura atteint sa dimension spirituelle, celle dont l’élève seul est détenteur.

Anne Cognard