Histoire
A peine cité dans la plus grande majorité des publications qui traitent de l’aikido, l’aikishintaiso ne semble pas pouvoir prétendre à une place équivalente à celle que l’aikido a pu acquérir au sein des arts martiaux : tout inviterait même à y voir en quelque sorte un parent pauvre qui n’entretiendrait pas avec l’art de la paix de Ueshiba Morihei des liens puissants et féconds. Mais qu’il ne soit pas forcément considéré dans toutes les écoles d’aikido comme une gymnastique de l’âme et une discipline martiale à part entière témoigne plus des différentes manières dont l’enseignement de maître Ueshiba a été transmis que de la place que cette pratique peut avoir au sein de ce budo.
Dans ces conditions, il est difficile de ne pas céder à un sentiment de confusion, dès qu’il s’agit d’en donner une définition et de faire un état des lieux à ce sujet. Réduit dans certaines écoles à une pratique secondaire faisant tout au plus office d’exercice d’échauffement avant un cours d’aikido, cité également au sujet des « aiki-taiso » de Koichi Tohei, il est plus étoffé dans d’autres où il fait l’objet d’un enseignement plus spécifique axé sur un délassement, un travail plus orienté du corps et des étirements ou assouplissements. C’est sans doute dans les écoles dirigées par des aikidoka qui ont suivi l’enseignement de maître Kobayashi que l’aikishintaiso s’est le plus développé. Ainsi, Charles Abelé, après avoir découvert l’aikido de maître Kobayashi, a suivi l’enseignement de son disciple, André Cognard. Parcours qui lui a permis de créer sa propre école, l’Académie d’Aikido et des Arts du Geste où il a donné à l’aikishintaiso une place équivalente à l’aikido, à l’image de ce qu’elle était déjà dans l’Académie Autonome d’Aikido, école créée et dirigée par maître Cognard.
Aikishintaiso dans l’Académie Autonome d’Aikido Kobayashi
La transmission dont il fait l’objet dans l’Académie Autonome d’Aikido Kobayashi s’appuie sur la volonté d’en souligner l’enracinement dans différentes traditions auxquelles l’aikido est relié (koto-tama, zen, bouddhisme, shintoïsme, shugendo, daoyin, acupuncture, karatédo, kendo) et d’en exprimer toutes les potentialités martiales. Et si récemment maître Cognard a pris la décision d’en revenir au nom d’origine « aikishintaiso » au lieu d’« aikitaiso », c’est pour que soient davantage soulignés ses liens avec la tradition du sabre pacifique qui remonte au XVIIème siècle et dont l’art de la paix de maître Ueshiba est une forme moderne. Il est vrai que l’harmonie tout autant que la martialité définissent les deux orientations majeures de l’enseignement de Cognard Hanshi. Enseignement qui doit beaucoup à l’essor que son maitre, Kobayashi Sosshu, lui a donné et auquel il continue de contribuer. Il en a en effet poursuivi l’élaboration, le développement et la conceptualisation, en y impliquant notamment des apports de la culture occidentale et en la faisant déboucher sur une posturologie.
Philosophie
Son enracinement dans des traditions multiples ainsi que la philosophie de la paix de son fondateur excluent d’y voir simplement une gymnastique et d’en avoir une approche restrictive, à l’exemple de l’Occident qui peut adopter des principes matérialistes au détriment de l’esprit ou l’inverse. Toutefois, même si les occidentaux n’ont pas forcément ignoré l’idée d’une interaction entre le corps et l’esprit, ils ont plutôt, à la faveur du développement des sciences humaines ou médicales, fait apparaître une conception singulère du corps. Privilégiant le plus souvent un point de vue dualiste de cette interaction entre le corps et l’esprit, ils ont privilégié des approches unilatérales entre ces deux instances comme dans la psychanalyse freudienne où le corps est le symptôme de pathologies de l’âme ou comme dans le matérialisme médical où l’organisme est à l’origine des différents états psychiques.
L’aikishintaiso fait plutôt sienne une vision non dualiste de l’individu.
Loin d’aborder le corps comme un corps-machine dont il s’agirait simplement d’optimaliser le fonctionnement ou un corps-instrument nous permettant d’agir et de concrétiser nos projets, il intègre de manière dynamique cette interaction du corps et de l’esprit et interdit donc toute approche simpliste (par exemple : l’esprit a une action sur le corps par l’exercice de sa volonté et par l’intermédiaire du système nerveux volontaire ; le corps quant à lui, a une action sur l’esprit par l’organisation des sens, le système nerveux végétatif, le système hormonal, etc.). Les interactions auxquelles il renvoie sont plurielles : en témoignent les différentes traditions asiatiques sur lesquelles il s’appuie, citées plus haut, et des disciplines comme la psychologie, l’anatomie, l’anthropologie, l’embryologie.
La prise en compte de cette interaction corps-esprit, qui est un des axes de la culture de l’Orient, n’est pas le seul apport de celle-ci. Les orientaux ont également le mérite d’avoir montré que la pratique est une des voies les plus sûres pour en intégrer toute la complexité.
Apports
Le pratiquant qui s’engage dans cette pratique y trouve donc matière à une meilleure connaissance de soi et prend conscience de la complexité de l’être humain autant que de l’impossibilité de le réduire à un ensemble de schémas préétablis qui en donneraient une connaissance préalable. Voie d’engagement de soi, l’aikishintaiso est également une voie de résolution de nombreuses problématiques tant individuelles que familiales, que chacun peut explorer librement et toujours de sa propre initiative grâce aux clés fournies par le travail effectué ou, le cas échéant, par l’enseignant, d’une manière toujours appropriée et respectueuse.
Impliqué lui-même dans cette discipline, celui-ci permet à l’élève d’explorer les relations entre son corps et son esprit qui l’instruiront sur les différents niveaux d’organisation et profondeurs de son être à partir d’un programme qui suit une méthode et une thématique précises et adaptées.
Le pratiquant se familiarisera par exemple avec les liens entre les différentes parties du corps, les phénomènes de proprioception et d’intéroception, le rapport entre les aspect physiques, physiologiques et psychiques du travail, les notions d’axe fondamental, d’axe intergénérationnel et transgénérationnel, le concept d’images inconscientes du corps.
Modalités
L’enseignement de cette pratique est soumis à une déontologie et à un rituel précis. Fondé sur les valeurs insufflées à l’aikido par son fondateur, elle s’enseigne dans un dojo, soit en groupe sous la forme d’un cours hebdomadaire, soit en « Atelier Personnalisé d’AikishinTaiso » (APAT) sous la forme d’un travail individuel et personnalisé d’une demi-heure par jour en moyenne, impliquant en ce cas la participation à 6 soirées spécifiques.
Le cours hebdomadaire se déroule en trois parties : la première partie porte sur le kihon qui est l’enchaînement de référence de l’aikishintaiso, la seconde sur un programme combiné de postures, de marches, de méditations selon une méthode rigoureuse définie par maître Cognard et la troisième sur une discussion entre l’enseignant et les élèves.
Les programmes d’APAT suivent la même méthode et les soirées donnent l’occasion à ceux qui les suivent de se familiariser avec les postures.
Les possibilités de combinaison et d’écriture de cours ou de définitions de programme sont quasi illimitées. Il existe plus de deux cents postures, de nombreuses marches, etc., mais seul un enseignant habilité par maître Cognard peut enseigner l’aikishintaiso. Peu nombreuses sont en effet les postures ou les marches qui peuvent être travaillées de sa propre initiative.
Conclusion
Avec ce travail, c’est à une nouvelle perception de son corps que l’individu est convié : non plus un corps aux services de l’ego mais un corps perçu comme ne nous appartenant pas, et comme étant comme les autres corps, les corps de la vie : « Ils sont la conscience biologique, ils sont d’abord les membres de la conscience anthropologique non pas au sens de la science anthropologique mais au sens de la mémoire de la totalité de l’expérience humaine, c’est-à-dire de la totalité du vécu spirituel » (André Cognard, « Do et aikitaiso », Aikidojournal 3/2009).
En somme, il s’agit d’une pratique complexe qui nécessite un travail régulier et un engagement sincère, permettant d’acquérir une meilleure connaissance de soi, un autre équilibre, une plus grande liberté et une assise plus assurée et plus harmonieuse ici et maintenant. Grâce à ces acquisitions, cela peut même donner à l’élève de nouvelles perspectives de vie.
Texte d’A. Desnier, N. Gilaber, M. Morvan, F. Palazzolo, P. Sahut
Relecture et corrections d’Alexandrine Gerrer-Maccario